Les substances amères – pourquoi nous avons besoin d'amertume

27. mai 2024 du Jutta Hannemann
Le chardon-marie (une amara aromatica) est utilisé comme plante médicinale depuis l'Antiquité.

Les substances amères sont connues depuis longtemps pour leurs effets bénéfiques sur la santé. Dans l'Antiquité déjà, les substances amères étaient utilisées pour traiter les problèmes de santé les plus divers (1). Pendant longtemps, l'amertume était peu considérée, mais depuis quelques années, les substances amères jouissent d'un regain de popularité en raison de leurs propriétés bénéfiques pour la santé.

L'amer est l'une des cinq saveurs de base, avec le sucré, l'acide, le salé et l'umami (2). L'umami est moins connu, il signifie "délicieux" en japonais et décrit un goût de viande (2 ; 3). Nous devons notre capacité à percevoir les différents types de goût aux récepteurs gustatifs qui se trouvent sur la langue et dans la bouche (2).

Que sont les substances amères ?

Les substances amères sont des composés chimiques très différents qui n'ont pas une structure uniforme. Leur seul point commun est leur goût amer. Dans la nature, ils sont présents dans de nombreux légumes et herbes médicinales et protègent la plante contre les prédateurs. Les substances amères naturelles typiques sont par exemple des substances végétales secondaires et des acides aminés (1).

Pourquoi évitons-nous l'amertume ?

La plupart des gens n'apprécient pas particulièrement les aliments amers. Cette aversion naturelle est innée : les nouveau-nés préfèrent déjà les aliments sucrés aux aliments amers. Il s'agit d'un mécanisme de protection de notre corps, qui se protège ainsi des substances potentiellement toxiques. En effet, la plupart des substances toxiques présentes dans la nature ont un goût amer (1). En revanche, le sucré est considéré comme un "goût de sécurité", car il n'existe pas de poison naturel au goût sucré. Nous associons plutôt le sucré à des sources d'énergie rapides et bonnes.

Il est intéressant de noter qu'un seul récepteur est responsable de la perception du goût sucré et du goût acide sur notre langue. Pour l'amer, en revanche, il y a 25 récepteurs (4). Nous percevons donc l'amertume beaucoup plus fortement que le sucré, par exemple. Ces 25 récepteurs peuvent reconnaître des dizaines de milliers de substances amères différentes (5) - un système de protection sophistiqué contre les substances potentiellement toxiques. Mais tout le monde ne perçoit pas l'amertume de la même manière. Les scientifiques ont découvert que le degré d'amertume que nous percevons dépend de nos gènes (6).

Au cours de notre vie, notre rejet inné de l'amertume évolue en fonction de nos expériences et nous sommes capables de nous habituer au goût amer. Malgré cela, les substances amères ont été peu à peu éliminées des légumes au cours des dernières décennies. Nous nous sommes ainsi habitués à des variétés plus douces. La bonne nouvelle, c'est que nous pouvons aussi nous réhabituer à l'amertume (1).

Pourquoi des substances amères ?

Mais pourquoi devrions-nous nous habituer à l'amertume ? Les substances amères font actuellement un véritable retour en force. A juste titre, car ils ont de nombreux effets positifs sur notre santé :

Les substances amères permettent de stimuler la salivation et de produire davantage d'acide gastrique. Ils favorisent ainsi la digestion et rendent les aliments plus digestes (1). Ils stimulent en outre la fonction du foie et de la vésicule biliaire. Le foie produit ainsi davantage de bile, ce qui stimule la digestion des graisses et aide le foie à se désintoxiquer (7). Les substances amères ont également un effet positif sur l'activité intestinale et peuvent ainsi faciliter l'absorption des nutriments (8).

De nouvelles études indiquent que les substances amères peuvent stimuler la production d'insuline dans le pancréas. Ils font ainsi en sorte que le taux de glucose sanguin, qui augmente après un repas, redescende plus rapidement, contribuant ainsi à une meilleure régulation de la glycémie (9 ; 10).

Les substances amères peuvent également favoriser la perte de poids. Contrairement aux aliments sucrés ou salés qui donnent envie d'en manger plus, les substances amères ont un effet coupe-faim. En se fixant sur les cellules intestinales, elles libèrent une hormone propre à l'organisme qui signale au corps qu'il est rassasié (9). Les substances amères peuvent également réduire les envies de sucreries.

De nombreuses substances amères ont en outre des propriétés antioxydantes et sont capables d'activer le système immunitaire (8 ; 11).

De nouvelles découvertes montrent en outre que les récepteurs de l'amertume ne sont pas seulement présents dans la bouche, mais aussi dans de nombreux autres tissus du corps. Les chercheurs ont pu les mettre en évidence dans le tube digestif, les poumons, les cellules immunitaires, la peau, le cœur et même les cellules cérébrales (4 ; 12). La fonction exacte qu'elles y exercent reste en grande partie inexpliquée. Ce qui est sûr, c'est qu'elles sont un élément important du système immunitaire inné (4).

Les substances amères naturelles

On trouve des substances amères dans de nombreux fruits et légumes, ainsi que dans de nombreuses plantes médicinales. En phytothérapie, les plantes au goût amer qui ont des effets sur la santé sont appelées amara (du latin signifiant amer) (1). Les amaras sont un élément important de la médecine naturelle depuis l'Antiquité. En fonction de leurs propriétés, elles sont classées en différentes catégories (1 ; 11) :

  • Amara pura (amers purs) : Les amers purs sont par exemple la gentiane jaune, l'artichaut, la racine de pissenlit et la centaurée.

  • Amara aromatica (substances amères et huiles essentielles) : Les plantes de ce groupe contiennent non seulement des substances amères mais aussi des huiles essentielles, comme par exemple le chardon-marie, la sauge, l'achillée millefeuille, la racine d'angélique, les cônes de houblon et l'absinthe.

  • Amara acria (remède amer avec des substances piquantes) : Ces plantes médicinales contiennent des substances amères et piquantes, comme par exemple le gingembre et le curcuma.

  • Amara mucilaginosa (amère avec des mucilages) : Cette catégorie comprend les plantes contenant des substances amères et des mucilages, par exemple la mousse d'Islande.

  • Amara salina (amers riches en sel) : Dans ce groupe sont classés les remèdes amers riches en sel, comme la racine et l'herbe de pissenlit.

  • Amara adstringentia (substances amères astringentes) : Ces plantes contiennent non seulement des substances amères astringentes, mais aussi des tanins et des tannins, comme par exemple le quinquina.

De nombreuses plantes médicinales connues contiennent des substances amères qui ont des effets hépatoprotecteurs, biliaires, digestifs, apéritifs et de nombreux autres effets sur la santé. Parmi elles, on trouve notamment:

Plantes médicinales connues contenant des substances amères

Chardon-Marie Utilisée comme plante médicinale depuis l'Antiquité (13). Considérée comme hépatoprotectrice, elle aide à détoxifier le foie (14 ; 15).

Artichaut Considérée comme hépatoprotectrice, biliaire et digestive. On lui attribue également des propriétés appétissantes, antioxydantes et hypocholestérolémiantes (11 ; 16 ; 17).

Gentiane jaune Est l'une des plantes les plus amères connues (12). L'amarogentine, que l'on trouve dans la racine de la gentiane jaune, est même considérée comme la substance naturelle la plus amère (12). A des propriétés appétissantes, biliaires et digestives (14 ; 18).

Pissenlit A de nombreux effets différents : digestif, biliaire et apéritif (14 ; 19).

Menthe poivrée Déjà connue depuis des siècles comme plante médicinale, elle offre un nombre étonnant d'effets positifs sur le corps (20). Favorise entre autres le flux de bile et aide ainsi à la digestion (14 ; 20).

Curcuma Appartient à la famille des gingembres. Il est utilisé depuis longtemps dans la médecine traditionnelle chinoise (Pharmawiki). On lui attribue des propriétés biliaires et antioxydantes (14 ; 21).

Fenouil Contient du fenchon amer. Est connu pour avoir des propriétés digestives, antispasmodiques et antimicrobiennes (14 ; 22).

Gingembre Contient des substances amères et des substances piquantes qui lui donnent son goût piquant. A un effet antioxydant, digestif, antimicrobien et antispasmodique (14 ; 23).

Safran Est également utilisé comme épice. Contient des substances amères qui ont des propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires et antispasmodiques (24).

Il ne s'agit là que de quelques plantes médicinales amères sélectionnées pour leurs effets positifs sur la santé. Il en existe bien sûr beaucoup d'autres.

Les substances amères dans notre alimentation

En dehors des plantes médicinales, les substances amères sont présentes dans un très grand nombre de fruits, de légumes et d'herbes (11 ; 25), mais en concentration plus faible que dans les plantes médicinales contenant des substances amères. Ces aliments contiennent des quantités notables de substances amères :

  • Fruits : pamplemousse, citron, pomelo, kumquat, grenade
  • Salades : chicorée, radicchio, roquette, endive, cresson
  • Choux : choux de Bruxelles, choux frisés, chou frisé, brocoli
  • Légumes : Radis, radis, asperges, fenouil, olives, artichauts
  • Herbes aromatiques et épices : thym, romarin, cerfeuil, sauge, estragon, laurier, cumin, anis, cannelle, gingembre, moutarde

Comment intégrer les substances amères dans notre alimentation ?

Intégrer plus de substances amères dans son alimentation peut être un défi, car nous ne sommes plus habitués au goût amer. Il est toutefois possible de s'entraîner à aimer l'amertume. Plus nous consommons souvent des aliments amers, plus vite nous nous réhabituons à leur goût (1).

Quelques conseils pratiques qui peuvent nous aider à consommer plus de substances amères :

  • Expérimentez avec de nouveaux aliments : Intégrez des légumes, des herbes et des épices amers dans votre régime alimentaire ou commencez le repas par une petite portion de salade amère ou une gorgée de tisane amère.
  • Combinez les aliments amers avec d'autres : Les aliments amers s'harmonisent souvent parfaitement avec d'autres arômes afin d'atténuer leur goût intense. Essayez par exemple d'associer des légumes à feuilles amères avec des fruits sucrés ou des sauces crémeuses.
  • Ajoutez de l'amertume à vos plats préférés : les herbes et épices amères comme le thym, le romarin, le curcuma et le gingembre agrémentent de nombreux plats.
  • Dans le cas où l'on ne parvient pas à intégrer davantage d'aliments amers dans les repas, il est possible de recourir à des compléments alimentaires contenant des substances amères.

Attention toxique !

  • Si les cucurbitacées telles que les courgettes, les courges ou les concombres ont un goût amer, il faut les éviter : N'y touchez pas !
  • Leur amertume n'est pas due à des substances amères bénéfiques pour la santé, mais à des cucurbitacines toxiques et il existe un risque d'intoxication aiguë.
  • Fatalement, ces toxines sont stables à la chaleur et à peine solubles dans l'eau, ce qui signifie que même la cuisson ne peut pas les affecter. Le stress environnemental (chaleur, sécheresse, variations de température) mais aussi un mauvais stockage peuvent entraîner une augmentation des teneurs en cucurbitacines dans les concombres et les courgettes (1).
  • Les citrouilles comestibles que l'on cultive soi-même peuvent présenter des teneurs élevées si elles poussent dans le jardin à côté de citrouilles décoratives et si les graines des citrouilles récoltées sont réensemencées l'année suivante (1).
  • La règle est donc la suivante : laisser de côté les concombres amers, les courgettes et les concombres.

Sources

(1) Höhl K, Lichtenstein S. Bitterstoffe und -komponenten in Lebensmitteln und Heilpflanzen. Teil 1: Klassifizierung, Wirkung und Toxizität. Ernährungs Umschau 2020;67(8):M472-9.

(2) Stähler F, Meyerhof W. Geschmackspräferenzen/Geschmacksaversionen- wie Rezeptorzellen Nahrungspräferenzen prägen. Schweizer Zeitschrift für Ernährungsmedizin 2010;2:6-9.

(3) Knies JM. Umami. Mechanismen, Substanzen und Lebensmittel. Ernährungs Umschau 2018;12:S77-81.

(4) Höhl K, Lichtenstein S. Bitterstoffe und -komponenten in Lebensmitteln und Heilpflanzen. Teil 2: Geschmackswahrnehmung von Bitterstoffen, extraorale Bitterrezeptoren und Ausblick. Ernährungs Umschau 2021;68(1):M38-44.

(5) Ernährungs Umschau: Bitterstoffe- nur 25 Rezeptoren für Geschmack verantwortlich (27.05.2010), https://www.ernaehrungs-umschau.de/news/27-05-2010-bitterstoffe-nur-25-rezeptoren-fuer-geschmack-verantwortlich/ (abgerufen am 26.04.2024).

(6) Deutsches Institut für Ernährungsforschung. Warum Bitterstoffe aus Artischocken nicht immer bitter schmecken, aus Absinth aber schon (8.10.2015). https://www.dife.de/news/archiv/details-archiv/warum-bitterstoffe-aus-artischocken-nicht-immer-bitter-schmecken-aus-absinth-aber-schon-98/ (abgerufen am 30.04.2024).

(7) Stapel H. Wie sich die Leber auf natürliche Weise entgiften lässt (26.01.2022), https://www.geo.de/wissen/gesundheit/leber-entgiften--hausmittel---tipps-fuer-die-kur-31572442.html (abgerufen am 26.04.2024).

(8) Saller R, Melzer J, Uehleke B, Rostock M. Phytotherapeutische Bittermittel. Schweizerische Zeitschrift für Ganzheitsmedizin 2009;21(4):200-205.

(9) Rezaie P, Bitarafan V, Horowitz M, Feinle-Bisset C. Effects of bitter substances on GI function, energy intake and glycaemia – do preclinical findings translate to outcomes in humans? Nutrients 2021;13(1317):1-21.

(10) Bitarafan V. Effects of bitter substances on energy intake and blood glucose, and associated gastrointestinal functions in healthy humans. Thesis. 2020;5:1-252 (https://digital.library.adelaide.edu.au/dspace/handle/2440/127175; abgerufen am 26.04.2024).

(11) Uehleke B. Bitterstoffe- nicht nur für den guten Geschmack. VFED aktuell 2020;176:22-25

(12) Wölfle U, Schempp CM. Bitterstoffe- von der traditionellen Verwendung bis zum Einsatz an der Haut. Zeitschrift für Phytotherapie 2018;39:210-15. https://www.thieme-connect.com/products/ejournals/abstract/10.1055/a-0654-1711 (abgerufen am 26.04.2024).

(13) Knaak A, Antwerpes F. Mariendistel. DocCheck Flexikon. https://flexikon.doccheck.com/de/Mariendistel (abgerufen am 29.04.2024).

(14) Wichtl M. Teedrogen. Ein Handbuch für die Praxis auf wissenschaftlicher Grundlage. 2. Auflage. Wissenschaftliche Verlagsgesellschaft Stuttgart; 1989.

(15) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=Mariendistel (abgerufen am 29.04.2024).

(16) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=Artischocke (abgerufen am 29.04.2024).

(17) Chrubasik-Hausmann S. Artischocke: Potente Heilkraft bei Magen-Darm-Beschwerden (22.12.2022). https://natuerlich.thieme.de/therapieverfahren/phytotherapie/detail/artischocke-potente-heilkraft-bei-magen-darm-beschwerden-809 (abgerufen am 29.04.2024).

(18) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=enzian (abgerufen am 29.04.2024).

(19) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=l%C3%B6wenzahn (abgerufen am 29.04.2024).

(20) Hierl E-M. Pfefferminze (21.11.2019). Deutsche Apotheker Zeitschrift. https://www.deutsche-apotheker-zeitung.de/news/artikel/2019/11/21/pfefferminze (abgerufen am 29.04.2024).

(21) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=curcuma (abgerufen am 29.04.2024).

(22) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=fenchel (abgerufen am 29.04.2024).

(23) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=ingwer (abgerufen am 29.04.2024).

(24) https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=safran (abgerufen am 29.04.2024).

(25) Rathfelder N. Bitterstoffe: darum sind sie so gesund (30.1.2023). https://www.swrfernsehen.de/marktcheck/gesundheit/artikel-bitterstoffe-warum-sie-so-gesund-sind-und-wo-sie-drinstecken-100.html (abgerufen am 29.4.2024).

Jutta Hannemann

Je suis rédactrice médicale indépendante et compte parmi mes clients différentes entreprises du secteur de la santé. Après mes études d'écotrophologie à l'Université technique de Munich, j'ai d'abord travaillé plus de dix ans dans l'industrie alimentaire avant de me lancer dans l'aventure de l'indépendance en 2010. Je peux ainsi combiner de manière optimale mon intérêt pour les contextes scientifiques et ma passion pour l'écriture scientifique. Mon travail se concentre sur tous les thèmes liés à l'alimentation, à la santé et au bien-être.